Aujourd’hui est un grand jour: c’est le premier restaurant triplement étoilé sur lequel je m’apprête à écrire. C’est un exercice difficile, qui demande beaucoup de recul sur la cuisine et sur ce qu’on peut en attendre. Afin de comprendre celui dont il s’agit ici, je pense qu’il est de bon ton de commencer par planter le décor.
Michel Guérard est un chef dont le restaurant est triplement étoilé depuis 1977. Il est considéré comme l’un des fondateurs de la nouvelle cuisine, ce mouvement adoubé par les critiques Gault et Millau dans les années 70. Sa femme ayant hérité d’une chaîne thermale, il s’installe dans la station thermale d’Eugénie-les-bains en 1974 et y met au point une cuisine minceur, qui lui vaudra la couverture du Time magazine. Multiplement décoré, Michel Guérard est une référence dans l’histoire de la gastronomie française.
J’ai eu le plaisir de me rendre dans le restaurant historique de Michel Guérard quelque temps avant qu’il nous quitte — drôle de timing.
Il y a beaucoup de chose à dire sur les Prés d’Eugénie. D’abord, l’endroit est grand, étalé sur 8 hectares, et il est assez difficile de comprendre du premier coup d’œil tout ce qui s’y trouve. Si vous n’y passez qu’une nuit, vous ne ferez sûrement que survoler le lieu et ses possibilités. Le côté thermale et la cuisine minceur des années ne semblent pas être l’axe de communication majeur de l’endroit, ce qui me semble être un bon aspect étant donné la vétusté du concept. Les chambres sont joliment décorées, mais somme toute assez simple, et le rapport qualité/prix est difficilement justifiable. Mon conseil: ne dormez là bas que par absolu nécessité.
Lors de ma visite au restaurant étoilé (le domaine compte 4 restaurants), pas de Michel en vue, mais en cuisine, le chef exécutif Hugo Souchet est lui bel et bien en place et s’occupe de faire chauffer la marmite.
Le decorum de la salle est tout simplement splendide. Qu’on aime ou pas, force est de constater que la bâtisse en impose et ne vous laissera pas indifférent. Sans surprise, le style est ancien et les nappes sont blanches.
J’ai toujours considéré les dîners dans ces grands restaurants comme des spectacles et non comme de simples occasions de s’alimenter. En moins de 10 minutes, 6 personnes auront déjà défile à votre table pour vous ramener de l’eau, un verre de champagne ou bien vous apporter la carte.
Et puis plus rien.
Pendant plus d’une heure, je fût laisser à ma table, abandonné par un service lâche et une cuisine en pleine nage. Rythmé par les pas des serveurs en queue-de-pie, les gargouillis de mon estomac raisonnaient sous les 3 mètres de plafond du salon.
Soudain, dans une chorégraphie déconcertante, soulevant des cloches en argent (ou en inox), un triplé de serveur débarqua pour m’offrir ce premier plat libérateur : un poisson clown — mélange de rouget, crevette et autres joyeusetés iodés. Les plats se mirent alors à défiler pendant près de 2h, les uns à la suite des autres, sans aucune fausse note.
De l’œuf poule au caviar d’Aquitaine, à la tarte beurrée aux asperges en passant à l’agneau de lait des Pyrénées, je dois reconnaître qu’il me fût impossible de trouver une fausse note. Juste, élégant et équilibré. chaque plat venant un peu plus vous rassoir confortablement dans votre fauteuil.







Alors, que reprocher à la cuisine de M. Guérard ? Pas grand chose, à vrai dire. Peut-être un léger manque d’audace, contrecarré par le sentiment que la modernité a été ramené dans cette cuisine qui aurait pu se casser la gueule sur les marches du temps. Certes, j’ai quelques réserves sur le chocolat des grandes personnes, dont la verveine vient agacer l’amateur de chocolat, mais le dessert est largement défendable, comme le reste du menu.
Sur le fond, le plus surprenant reste l’absence total de fromage et du classique chariot rempli des mets locaux pour un restaurant de ce calibre. Peut-être un résultat de l’application de la politique minceur de la maison ? L’arbre aux délices, servit en conclusion, qui consiste à accrocher 7 framboises sur des branchages, me laisse pantois de simplicité et déconcerte par son inutilité après deux heures de surenchère gastronomique.
Au vu du niveau culinaire, on pardonne. Cependant, au vu du prix du menu (295 €) difficile de tendre l’autre joue.
La question se pose alors ainsi : doit-on casser sa tirelire pour se frotter à l’Histoire de la cuisine française ? Oui, si vous voulez enrichir votre culture gastronomique, mais probablement pas si votre rapport à l’art culinaire reste superficiel.
Les plus : la cuisine de haute volée
Les moins : les prix, forcément
Place de l'impératrice, 40320 Eugénie-les-Bains
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